En fin janvier 2004 se termine la consultation pour la commission particulière de débat public au sujet de la LAALB (Liaison Autoroutière Amiens Lille Belgique) ou A24. Je propose cette contribution au débat public car
L’A24, comme le souligne le maître d’ouvrage, est également un enjeu de sécurité routière. Les objectifs du PDU de Lille associent à la fois le respect de la loi sur l’air et la lutte contre l’insécurité routière, c’est dans cette optique qu’il convient de trouver une réponse satisfaisante aux questions concernant l’environnement et le massacre quotidien auquel on assiste sur nos routes.
Une étude publiée dans le Lancet réalisée en France, en Suisse et en Autriche révèle qu’il y a au moins autant de morts précoces provoquées par la pollution atmosphérique que de tués sur la route dans chacun de ces pays.
Les problèmes sont liés comme je vais tâcher de le démontrer par la suite. Il faut d’abord évoquer l’A24 et l’influence qu’elle aura sur notre région.
A ) L’A24 dans le Nord Pas de Calais
Cette région est située au milieu de 4 méga attracteurs (Londres, Paris, Rotterdam, la Ruhr) qui génèrent de 30 à 50% du PIB de chacun de leur pays. C’est une zone d’échange ce qui signifie un trafic routier intense et un développement urbain important.
1) A1 et sécurité routière
Il suffit de circuler sur l'A1 pour constater les deux files continues de camions. Les automobilistes se sentent peu en sécurité, d'autant plus que l'époque des "routiers sympas" est révolue. La course à la rentabilité obligent les chauffeurs à respecter des temps de trajet toujours plus serrés pour satisfaire une clientèle de plus en plus exigeante. Si la majorité du trafic concerne des échanges locaux, on ne peut que remarquer que les déplacements ne sont pas hiérarchisés dans la région, les flux locaux et internationaux se croisent. 30% du trafic sur l'A22 entre Tourcoing et Lille concernent des poids lourds traversant la métropole dans l'axe Rotterdam-Paris. Les cartes de la DATAR (Délégation à l'Aménagement du Territoire et à l'Action Régionale) sont explicites: une grosse partie du trafic de marchandises entre Lille et Paris se composent de poids lourds étrangers.
Le trafic international Nord-Sud de marchandises se mélange à un trafic urbain chaque année plus intense, l’autoroute A1 Lille-Paris est perçue comme dangereuse par les usagers à cause du nombre impressionnant de poids lourds qui ne fera que croître selon les prévisions de la DDE. Il faut savoir également que la majorité du trafic international passe par la Voie rapide Urbaine au centre de Lille, le transport de produits dangereux n’est même pas contrôlé et écarté de la métropole alors que des itinéraires de contournement existent.
L'inquiétude monte. Le monde du transport de marchandises se transforme : les parts de marché des entreprises françaises de transport reculent, l’entrée dans l’Union Européenne des pays de l’Est permet aux entreprises peu scrupuleuses d’employer des chauffeurs de ces pays peu payés, peu formés mais bien exploités. Le pavillon français ne représente plus que 5% du cabotage en Europe et 2,6% du trafic international. Nous voyons sur les mers les bateaux poubelles navigant avec des pavillon de complaisance, cela a donné le naufrage du Prestige qui salit encore nos côtes, n’oublions pas le 12 décembre 1999, le pétrolier maltais Erika. Nous allons voir les camions épaves avec des chauffeurs mal payés, mal formés, dangereux pour la sécurité routière comme cela s’est déjà produit dans le tunnel du Mont Blanc, celui du Gothard en Suisse. Des entreprises avec des licences douteuses, des chauffeurs des pays de l’Est.
Le fort sentiment d’insécurité routière semble donc justifié. Accroître l’offre de routes en construisant une nouvelle autoroute ne suffit pas à garantir la sécurité à moyen terme. Il faut étudier l’aspect qualitatif du trafic et s’assurer du respect des règles de sécurité par tous.
2) coût de la sécurité routière dans le projet l’A24
Les statistiques de la sécurité routière en 2002 ont montré que ce sont les chauffeurs routiers qui connaissent la plus forte progression d’accidents de la route. Pourtant de nombreuses entreprises routières françaises ont pris des dispositions relatives à la sécurité routière ce qui leur permet de faire en outre des économies conséquentes. Elles mettent en cause les entreprises étrangères qui ne se soumettent pas à ces mêmes règles de sécurité.
Il n’est pas logique de construire une A24, de favoriser le transport routier et de laisser faire les entreprises peu scrupuleuses en matière de sécurité. La banalisation des accidents est une triste réalité, il faut qu’ils soient particulièrement spectaculaires ou meurtriers pour faire la une des média. Il y a une différence de traitement fondamentale avec le monde du rail. Le moindre déraillement de train est signalé. Il faut inclure le coût de la sécurité routière dans le budget de l’A24. Cet impératif permettra de rétablir une véritable concurrence avec le rail.
Si les routes étaient aussi sûres que les trains nous pourrions alors véritablement comparer les coûts de chacun des modes de transport.
3) A24 et étalement urbain
Le développement économique fait bouger les populations; les villes centres de la métropole nordiste se dépeuplent, les gens du Nord fuient les centres urbanisés pour les campagnes environnantes plus vivables mais qui ne sont pas équipées de transports collectifs. Le bassin minier offre des logements plus abordables au prix d’un trajet domicile-travail plus important. Les statistiques de LMCU montrent que les trajets quotidiens sont plus nombreux (+2,5% par an) et ils s’allongent (+0,5% par an).
Les statistiques routières le prouvent, c’est en milieu rural, sur les départementales, que les accidents sont les plus graves. L’étalement urbain a donc des conséquences néfastes sur la sécurité routière.
Construire l’A24 et favoriser l’étalement urbain n’est pas une solution de développement durable.
La DDE indique que le fait de construire une autoroute améliorera la sécurité sur les routes, ce qui est vrai sur l’axe lui-même mais devient faux par l’induction de trafic supplémentaire généré par l’étalement urbain.
B) En quoi les problèmes d’environnement et de sécurité routière sont-il liés ?
La congestion grandissante de la métropole Lilloise se traduit par un état de stress croissant des conducteurs. Les départementales servent alors d’exutoires pour ces citadins stressés, les chevaux sous le capot sont libérés dans une vaine tentative d’évacuer les problèmes de la journée.
L’étalement urbain c’est aussi l’obligation pour les jeunes d’avoir leur mobylette ou leur voiture plus tard pour accéder aux lieux de divertissement, les transports en commun en milieu rural ne pouvant répondre à cette attente. Or la route est la première cause de mortalité pour les 15-24 ans. La proximité de la Belgique et de ses boîtes de nuits favorise des déplacements nocturnes et des accidents remarquables pour leur gravité.
Ainsi la réduction de la vitesse permet de diminuer la gravité des accidents (-10 km/h c’est -20% de gravité au moins), de réduire le bruit des moteurs et le bruit de roulement et de limiter la pollution. Une conduite agressive fait consommer jusqu’à 30% de plus qu’une conduite plus douce.
Il a été prouvé qu’un bruit modéré mais continu est aussi nocif que le bruit des réacteurs des avions. Le bruit génère donc du stress et de la fatigue qui dégénèrent en états dépressifs soignés à coup d’anxiolytiques, de benzodiazépines. Ces médicaments diminuent la vigilance mais nombreux en abusent même s’ils doivent prendre le volant.
La vitesse réduit le champ de vision du conducteur car son cerveau n’est pas capable d’analyser les informations visuelles qui lui arrivent sur les côtés. Plus la vitesse est grande, plus la charge de travail imposée au cerveau est importante, plus la fatigue augmente, plus le stress s’installe.
Si la vitesse n’est pas toujours la cause première des accidents, elle en est à chaque fois un facteur aggravant. Nous pouvons ainsi poser l’équation :
VITESSE = ACCIDENT + POLLUTION + BRUIT + STRESS
Les facteurs sont donc bien liés. Il faut donc de combattre simultanément sur ces deux fronts pour optimiser les résultats des actions.
95% des accidents sont dus à des fautes de comportement. Comme le maire d’Arras le disait de façon ironique, ce n’est pas la route qui tue mais les véhicules qui roulent dessus. Un véhicule est comme une arme, si personne n’appuie sur la gâchette, elle ne tue pas. Ce sont bien les conducteurs qui tuent avec l’aide de leur véhicule. Il faut s’assurer également que les véhicules n’offrent pas de tentations irrésistibles pour certains. Limiter les autoroutes à 110 km/h, brider les moteurs, installer des caméras sont dans le sens littéral du terme des garde-fous.
La Grande Faucheuse ne doit plus circuler sur nos routes, elle supprime des vies, souvent par le fait de la bêtise. Elle entraîne aussi dans son sillage les familles des victimes dans la spirale de la douleur, de la dépression. Un accident ce n’est pas seulement des vies en moins, ce sont des familles qui sont détruites. L’accident n’arrive pas qu’aux autres, ce n’est pas une statistique improbable que l’on peut écarter.
L’objectif de la ligue contre la violence routière est : ZERO ACCIDENT. Certains diront que c’est une utopie. Dans quelle mesure le maître d’ouvrage pourra-t-il nous assurer le respect de cette volonté avec la construction de l’A24 ?
Construire l’A24 sans chercher à changer les mentalités et croire que tout va bien se passer, c’est là la véritable utopie.