Faut-il recommander l’utilisation des feux de jour ? 

Comité des experts du CNSR  –22  juillet 2004           

PREAMBULE :

S’il est assez facile de comprendre que pour les accidents de jour à plusieurs véhicules ou entre véhicule et  piéton, le fait de ne pas avoir ou d’avoir vu trop tard, joue un rôle dans la genèse de l’accident, il est par contre plus difficile de comprendre l’utilité d’allumer constamment ces feux. Il est vrai qu’en temps normal, il n’y a pas de problème de détection du véhicule ou du piéton et il n’y a pas non plus d’accidents : les feux de jour allumés en permanence vont justement faciliter la détection dans les cas rares où, sans eux, il n’y aurait pas eu de détection et permettre ainsi d’éviter l’accident.

De fait, l’opportunité des feux de jour n’est pas toujours évidente pour toutes les personnes concernées par la sécurité routière malgré le nombre très important d’études et de recherches qui lui ont été consacrées. C’est la raison pour laquelle le comité des experts du Conseil national de la sécurité routière a pensé utile d’établir une synthèse des connaissances sur le sujet.

 Le présent document résulte d’un travail de Jean CHAPELON secrétaire général de l’Observatoire et d’Yves PAGE expert. Il a été examiné le 2 juin 2004 par le comité des experts où étaient présents outre les rédacteurs, Hélène FONTAINE, Claude GOT, Sylvain LASSARE et Claudine PEREZ-DIAZ.

 

SYNTHESE :

Les feux de jour font l’objet d’un consensus général de la part de presque tous les experts : l’utilisation des feux de jour diminue les accidents et les débats ne portent pas sur le sens positif de l’effet généralement attribué aux feux de jours mais sur l’ampleur de cet effet. Les inconvénients liés à la très légère augmentation de la consommation de carburant (coût et pollution) ainsi qu’au changement plus fréquent des ampoules sont considérés comme faibles en comparaison des avantages sécuritaires de la mesure.

Pour la France, les accidents concernés, accidents de jour hors accidents véhicules seuls[1], représentaient en 2003 39 % des tués et 58 % des blessés[2]. L’efficacité de cette mesure peut-être évaluée, suivant les experts, entre 5 à 8 % des tués et de 3 à 13 % des blessés, c’est-à-dire un gain moindre que celui des mesures concernant l’alcool, la vitesse ou la ceinture mais néanmoins important d’autant que sa mise en œuvre est relativement facile.

Le caractère bénéfique de cette mesure fait toutefois l’objet de controverses s’agissant des usagers vulnérables (motocyclistes, cyclistes et piétons) qui craignent que les automobilistes allumant les feux de jour considèrent qu’ils sont mieux vus et donc prennent plus de risques. Les études disponibles ont cependant conclu à une absence de tels effets négatifs même pour ces catégories d'usagers.

La particularité des usagers de la moto sur ce sujet est qu’ils bénéficient de la mesure depuis plus de vingt ans et qu’ils craignent qu’en cas de généralisation de la mesure à l’ensemble des véhicules, il ne soit plus possible de « reconnaître » une moto parmi d’autres véhicules éclairés. Les travaux sur le sujet montrent qu’en fait les motos bénéficieraient aussi de l’éclairage des voitures parce qu’ils les détecteraient et les reconnaîtraient mieux..

Il serait d’ailleurs anormal qu’une catégorie qui représente moins de 1 % du trafic, refuse à la majorité des usagers le bénéfice d’une mesure qui a montré son intérêt lorsqu’elle leur a été appliquée à partir de 1975 et contre laquelle, à l’époque, ils s’étaient opposés.

Dans ces conditions, le comité des experts considère que :

-          L’allumage des feux de jour est une mesure simple pour améliorer la sécurité routière dont l’efficacité est prouvée par une abondante littérature scientifique et notamment par l’expérience des Landes, en France alors qu’a contrario beaucoup de mesures ont été prises dans le passé avec peu de preuves scientifiques de leur efficacité et surtout du rapport coût/efficacité (contrôle technique, drogue, visite médicale).

-          le problème principal que pose cette mesure est celui de son acceptabilité sociale par une minorité de représentants d’usagers. Elle ne peut donc s’envisager qu’accompagnée par des actions de communication qui pourraient être complétées par un encouragement à la pratique. Pour les motocyclistes, l’étude de dispositifs permettant d’améliorer leur visibilité[3]devrait être engagée.

-          la question des modalités d’application de la mesure est également importante : il semble préférable d’envisager un mode progressif d’instauration de la mesure par exemple en procédant dans un premier temps par des conseils aux usagers visant à rendre volontaire l’usage des feux de jour. Leur utilisation sera d’autant plus positive qu’elle sera considérée comme participant à un effort en faveur de la sécurité routière de tous les usagers. De fait, la plupart des pays qui ont instauré une obligation, l’ont fait au moment où la pratique spontanée concernait déjà plus de la moitié des usagers : c’est ainsi que la pratique aux Pays Bas, pays qui a refusé de rendre obligatoire cette mesure, est actuellement de l’ordre de 60 % ce qui est presque trois fois plus important que dans l’expérience d’utilisation des feux de jour, lancée en 1997 dans le département des Landes. On peut également pour en faciliter l’acceptation limiter dans un premier temps la promotion de l’allumage des feux à la seule rase campagne et/ou pendant l’hiver.

-          Il faut engager une réflexion générale sur l’éclairage avec les constructeurs qui seront encouragés à  proposer des modèles avec feux dédiés spécifiques à cette fonction (être vu) alors que les feux de croisement sont conçus pour voir et alors que de nombreux véhicules disposent déjà de feux automatiques qui s’éclairent dès que  la luminosité baisse

Si la mesure concernant les feux de jour n’était pas retenue, le comité des experts recommande de mieux préciser la notion de « visibilité insuffisante » du Code de la route (art.R416-4) en spécifiant par exemple que par temps de pluie ou par temps couvert la visibilité est insuffisante[4] et d’encourager l’allumage automatique des feux de croisement en fonction de la lumière en spécifiant mieux les seuils de déclenchement automatique.

 

1.     La question des feux de jour dans le monde

Rappel de l’origine- les aspects réglementaires  – les études de la Commission Européenne

Rappel de l’origine

La question de l’utilisation des feux le jour est à l’ordre du  jour des programmes de sécurité routière depuis plusieurs années.

Chacun s’accorde à situer l’origine de l’allumage des feux de croisement le jour dans une campagne de promotion en faveur de la sécurité routière lancée en 1961 par le gouverneur du Texas. Depuis cette date, des expérimentations ont eu lieu aux Etats Unis sur des flottes de véhicules et la firme General Motors a commencé à mettre sur le marché des voitures équipées de feux de jour automatiques en 1996. Toutefois, aucun Etat américain n’a, à ce jour, institué d’obligation et les réglementations sur l’éclairage restent très diverses.

En revanche, le Canada a imposé l’équipement de feux automatiques dédiés (moins puissants et moins éblouissants que les feux de croisement et donc moins consommateurs d’énergie) sur les voitures neuves à partir du 1er décembre 1989 et le parc est donc aujourd’hui équipé en quasi totalité.

Au sein de l’Union européenne, l’obligation d’allumer les feux de croisement de jour est en vigueur en Finlande, en Suède, en Norvège, et au Danemark. Dans tous ces pays, le conseil d’usage a précédé la réglementation et celle-ci n’est jamais intervenue avant que le taux d’utilisation volontaire n’atteigne 50 %.

Dans les autres pays les situations sont diverses. La Hongrie a rendu les feux de jour obligatoire sur l’ensemble du réseau routier en 1994. En Israël l’allumage est obligatoire du 1er novembre au 31 mars hors des villes pour tous les véhicules et en milieu urbain pour les bus les camions, les taxis et les motos. En Pologne il est obligatoire sur tout le réseau du 1er octobre à la fin février pour les véhicules à quatre roues, l’obligation s’imposant toute l’année pour le motos. Une réglementation est en préparation pour l’imposer toute l’année. La Slovénie a institué l’obligation au printemps 1998. Les Pays Bas et l’Autriche n’ont pu prendre aucune mesure réglementaire, en raison de l’opposition des usagers vulnérables (piétons, cyclistes et motocyclistes) et, pour les Pays Bas, du courant écologiste. Dans ces deux derniers pays, l’usage des feux de jour est donc simplement recommandé. Il en est de même en Suisse.

Enfin depuis le 1er juillet 2003, l’Italie impose l’usage des feux de croisement en rase campagne.

Les aspects réglementaires : réglementations communautaire et internationale

Conséquence de la constitution du marché intérieur, les réglementations de construction des voitures et des motos sont de compétence communautaire. Ainsi, la « réception » des véhicules est communautaire : toute voiture ou moto achetée dans un Etat peut être immatriculée dans un autre.

Les pays membres de la CE restent toutefois libres d’instaurer la réglementation de leur choix en matière de feux de jour. En effet, les règles d’éclairage et de signalisation fixées par la directive du 27  juillet 1976 modifiée par la directive 97-28 autorise l’équipement en feux de jour dédiés tout en permettant aussi leur interdiction.

Par ailleurs, en application d’une décision du Conseil européen du 27 novembre 1997, la CE a adhéré à l’accord de Genève du 20 mars 1958 et reconnu la plupart des règlements techniques annexés, dont le Règlement 87 relatif aux normes techniques des feux de jour dédiés.

Les études de la Commission européenne

Les feux de jour ont été à de nombreuses reprises à l’ordre du jour du groupe à haut niveau de sécurité routière rassemblant l’ensemble des responsables de la sécurité routière des pays de Communauté européenne.

La Commission Européenne (notamment l’ancienne Direction générale des Transports, DG7) s’est demandée comment exploiter les nombreuses études d’évaluation réalisées dans divers pays depuis les années 1960 alors que les méthodes utilisées, le taux effectif d’usage des feux de jour, les types d’accidents, les conditions de latitude, de luminosité etc. étaient fort différents. Elle a commandé à l’Institut néerlandais de sécurité routière (SWOV) de 1997, un rapport qui fait le point des connaissances en matière d’utilisation des feux de croisement le jour et comprend en particulier une méta-analyse[5] et une ré-analyse de la littérature scientifique existante, qui est détaillé au paragraphe 4.1 plus loin.

L’une des critiques les plus fréquemment formulées à l’encontre de ce rapport étant le faible nombre d’études analysées portant sur l’effet de l’allumage des feux le jour sur les usagers vulnérables (piétons cyclistes et motocyclistes), la Commission européenne a lancé un appel à proposition largement centré sur ce thème qui a été confié à un consortium européen piloté une nouvelle fois par le Swov et dont les résultats confirment les travaux antérieurs.

 

2.     La question des feux de jour en France

Le CISR de 1997 – l’expérience des Landes – la commission des feux de jour du CNSR – le comité des experts

En 1997, le CISR notait qu’une « récente étude (le rapport du SWOV cité ci-dessus) commandée par la Commission européenne avance que des gains importants de vies humaines pourraient être obtenus avec l’obligation d’allumer les feux de croisement de jour. L’analyse menée, courant 1998 par l’INRETS confirme l’efficacité de la mesure. Les motocyclistes déjà obligés de circuler avec les feux de croisement allumés craignent cependant qu’une généralisation ne réduise leur sécurité. »

Suite à ce constat il proposait au ministère de l’Equipement « d’engager une concertation avec les organisations représentatives des différentes catégories d’usagers de la route sur l’opportunité et les modalités de l’instauration d’une obligation d’allumer les feux de croisement de jour ». Par ailleurs il préconisait de recourir à « des expérimentations menées localement, à l’initiative des préfets après concertation avec les différents partenaires, pour encourager les usagers de la route à utiliser leurs feux de croisement de jour » et spécifiait, en outre, que les résultats de ces expérimentations  seraient « pris en compte dans les conclusions de la concertation nationale».

Le 18 juin 1999, le ministre de l’Equipement, confiait donc à Claude Robert, Inspecteur général de l’Equipement le soin « d’entendre un éventail le plus large possible des organisations et associations qui souhaiteraient formuler un avis sur cette mesure et par ailleurs de procéder à une analyse des mesures mises en œuvre par les autres pays ». Celui-ci rendit son rapport le 14 janvier 2000. Ce rapport qui fait un point très clair sur l’état de la question, les mesures prises à l’étranger et les positions des différentes catégories d’usagers, ne formule toutefois aucune recommandation, la lettre de mission qu’il avait reçu du ministre ne lui en demandant pas explicitement.

Parallèlement, une expérimentation portant sur l’allumage des feux de jour était mise œuvre dans le département des Landes en juin 1999, sous l’égide l’Institut national sur les transports et leur sécurité (INRETS). Le rapport d’évaluation rendu en septembre 2001 a conclu positivement sur l’expérience.

Le conseil national de sécurité routière a décidé, en juillet 2002, de constituer un groupe de travail portant sur ce thème[6].

La commission a tenu six réunions au cours desquelles ont eu lieu les auditions d’une vingtaine d’experts français et étrangers. Elle a en outre recueilli un certain nombre de documents techniques.

La composition même de la commission sur la base du volontariat au sein du conseil et d’une cooptation d’experts ne lui a pas permis de dégager des conclusions claires. De ce fait, le conseil lui-même, lors d’un débat le 24 juin 2003, n’a pas pu conclure sur le sujet.

Dans ce contexte, début janvier 2004, le comité des experts s’est penché sur cette question, pour répondre à certaines objections techniques formulées lors de la séance du Conseil et pour prendre en compte de nouveaux travaux récents sur le sujet et notamment, la nouvelle étude pour la Commission européenne (2004).

 

3.     Par quels mécanismes les feux de jour peuvent-ils améliorer la sécurité routière ?

L'usage des feux de jour a pour principal objectif l'augmentation de la visibilité, de la détectabilité, de la reconnaissance et de l'identification des véhicules.

Une erreur classique du conducteur est la détection tardive. Elle est le fait d'un conducteur qui ne regarde pas ce qu'il faudrait regarder ou du caractère non suffisamment perceptible de ce qui doit être détecté. On a d'abord supposé que l'un des facteurs importants pour rendre les véhicules perceptibles ou pour attirer le regard du conducteur était leur couleur (les véhicules aux couleurs lumineuses et saturées sont sous-représentés dans les accidents). Mais la couleur du véhicule, quelle qu'elle soit, peut parfois être identique à la couleur de son environnement, ce qui réduit son contraste et donc sa détectabilité.

La littérature abonde de résultats concernant les feux de jour. Nous avons sélectionné dans les deux sections suivantes les aspects positifs et négatifs les plus marquants.

 

3.1. Aspects positifs

1. La perceptibilité d'un objet dépend également de la reconnaissance de son mouvement, surtout dans le champ périphérique. Les études expérimentales montrent que l'éclairage des feux de jour rend les véhicules bien mieux perceptibles en augmentant leur conspicuity (mélange de contraste et de luminosité) et également mieux reconnaissables en tant que véhicules. En outre, il a aussi la capacité à compenser les erreurs d'attente des conducteurs (en attirant leur regard) et augmente la perception de mouvement des autres véhicules, en le distinguant notamment des véhicules à l’arrêt.

2. Les feux de jour permettent de mieux positionner le véhicule latéralement, de réduire la distance perçue qui sépare un observateur d'un véhicule en face de lui (et ce d'autant plus que l'intensité des feux de jour est forte), de distinguer les véhicules roulant des véhicules stationnés (non éclairés), et d'augmenter l'angle de détection des véhicules équipés.

3. L'identification des voitures (c'est à dire le stade après la détection) croit avec l'intensité des feux de jour jusqu'à 165 cd puis reste identique ensuite.

4. Même quand la luminosité est forte (plein soleil par exemple), il y a toujours des zones d'ombre dans lesquelles les voitures perdent leur conspicuity, et pour lesquelles les feux de jour conservent leur utilité.

5. Les feux de jour sont efficaces, en termes de détectabilité, aussi dans la brume légère. Il n'y a pas d'études sur leur efficacité dans des conditions atmosphériques dégradées.

6. Les études d'opinion montrent que, généralement, les conducteurs ne sont pas favorables aux feux de jour avant leur recommandation ou leur obligation mais qu'ils le deviennent après. Cependant, une campagne d'information et d'éducation doit être impérativement menée avant l'introduction de la mesure sinon il y a un grand risque de contestation.

7. Il n'y a aucune raison de penser qu'il y a adaptation comportementale ou compensation du risque chez les conducteurs de véhicules éclairés (avec par exemple une augmentation des vitesses). Cette hypothèse n'est pas plausible parce que les conducteurs n'éprouvent pas avec les feux de jour un sentiment de sécurité plus fort.

8. Les feux de jour évitent aux conducteurs d’avoir à activer les feux dans des conditions de visibilité dégradées

 

3.2. Aspects négatifs

1. Les études sur le masquage des véhicules non éclairés par des véhicules éclairés sont contradictoires. Certains chercheurs notent que les feux de jour provoquent une réduction de la visibilité des usagers non éclairés. Cette réduction est d'autant plus forte que les conditions de luminosité sont faibles et que l'intensité des feux de jour est élevée. D'autres montrent que les bicyclettes sont autant visibles entre deux véhicules éclairés qu'entre deux véhicules non éclairés. Il n'y a apparemment pas d'études sur la détectabilité des piétons dans un environnement constitué de véhicules éclairés.

2. Le masquage des clignotants ou des feux stop à l'arrière par des feux de jour allumés en permanence dépend de la luminosité, de la distance qui sépare l'observateur du véhicule éclairé, de l'intensité des feux, de la proximité des clignotants et des feux stops avec les feux de jour, etc. A l'avant, l'effet de masquage est très léger, de loin. A l'arrière, il n'est pas mis en évidence.

3. La consommation d'énergie additionnelle est estimée à 1 % en cas d'utilisation des feux de croisement et à 0,5 % en cas d'utilisation de feux dédiés. L'utilisation de LED entraînerait une consommation d'énergie additionnelle négligeable. Les études de coût-bénéfice dus aux feux de jour sont contradictoires. Le ratio dépend bien sûr de l'équipement des feux de jour (feux dédiés ou feux de croisement) et des aspects techniques qui leur sont liés. Koornstra et al. concluent quand même à un ratio bénéfice/coût de 2.

4. Les feux de jour peuvent être éblouissants. L'éblouissement dépend de la luminosité ambiante. Rumar, par exemple, considère que ce problème est majeur et suggère que l'intensité lumineuse des feux de jour ne dépasse pas 1000 cd pour éviter ce phénomène.

 

4.     L’effet global des feux de jour

Les Meta-analyses - L'expérience des Landes en France - La dernière étude disponible - Les contestations

L’ensemble des données disponibles sur le sujet incite à conclure à un effet global positif des feux de jour en termes de sécurité routière: le nombre d'accidents de jour entre plusieurs usagers décroît avec l'utilisation des feux de jour. De plus, les effets bénéfiques des feux de jour sont durables dans le temps et ne répondent pas à la loi de l'effet de nouveauté.

 

4.1. Les Meta-analyses

Cette conclusion remarquable résulte d’abord de nombreuses études ayant évalué les effets sur la sinistralité routière puis de la méta-analyse de R. Elvik en 1996, de la méta-analyse de Koornstra et al. en 1997 puis d'une nouvelle méta-analyse de Elvik en 2003 dans le cadre de l' étude européenne terminée en début d'année 2004.

Pour Elvik (1996), les résultats montrent que l'effet intrinsèque des feux de jour est de –10 % à –15 %, c'est-à-dire que les véhicules de flotte qui utilisent les feux de jour sont 10 % à 15 % moins impliqués dans les accidents impliquant au moins deux véhicules que les autres véhicules non équipés de feux de jour. Ces réductions de 10 % à 15 % sont constatées que l'accident soit en choc frontal, en choc arrière ou en choc latéral.

L'effet agrégé des feux de jour, c'est-à-dire l'effet constaté après une obligation d'utilisation ou une campagne de promotion, est plus faible que l'effet intrinsèque. Il est compris entre – 3 % et -12 % pour les accidents à plus d'un véhicule. L'effet n'est cependant pas significatif pour les collisions arrière. L'auteur suppose alors que les feux stop sont plus mal perçus lors d'un freinage d'urgence par les conducteurs lorsque les feux arrière sont allumés5 (voir § 3.2.2).

Chez Koornstra et al, 24 études évaluant les effets des FCJ sur la sécurité (accidents ou victimes) ont été analysées. 8 des ces études concernent l'évaluation de l'obligation d'utiliser les FCJ, 2 concernent l'évaluation d'une recommandation et 14 concernent l'évaluation des effets des FCJ sur la sinistralité de flottes automobiles.

8 études montrent une efficacité non significative aux tests statistiques, bien que dans 3 d'entre elles l'estimation de l'efficacité dépasse 20 %. Dans 8 pays de l'hémisphère nord, l'estimation de l'efficacité est positive et statistiquement significative. Une ré-analyse de certaines de ces études a permis de rendre cohérentes les estimations des efficacités. Cela a été l'occasion de mettre en relief les insuffisances méthodologiques des études précédentes et de ré-utiliser les données pour ré-estimer l'efficacité des feux de jour.

Aucune étude ou ré-analyse n'a montré un effet négatif des feux de jour sur la sécurité. Néanmoins, les effets des feux de jour varient selon les pays et les types d'accidents. En particulier, l'effet intrinsèque des feux de jour sur les collisions arrière est inférieur à l'effet des feux de jour sur d'autres types d'accidents impliquant plusieurs véhicules.

Les effets des feux de jour sont identiques pour les occupants de véhicules motorisés et pour les autres usagers de la route non motorisés. En particulier il n'y a pas, pour les motocyclistes d'effets pervers dus à l'accroissement de l'utilisation des feux de jour par les autres véhicules motorisés.

Un apport important de la méta analyse de Koornstra et al. est la mise en évidence d'une relation prédictive croissante entre la latitude et l’efficacité des feux de jour constatée dans différents pays, cette relation  pouvant s’expliquer principalement par la différence d’incidence de lumière. Pour la France, les efficacités sont ainsi estimées à 26 % pour les tués, 22 % pour les blessés et 13 % pour les accidents considérés (ces chiffres ont fait l’objet de contestation. Même s’ils paraissent surestimés, ils sont significativement positifs). L'efficacité exprime l’efficacité intrinsèque c’est à dire l’efficacité qu’on obtiendrait si on passait d’un taux d’évaluation de 0 % à un taux d’évaluation à 100 %.

Les conclusions de la dernière étude du SWOV pour la Commission Européenne sont cohérentes avec ces résultats à la différence que l’évaluation de l’efficacité de la mesure est plus faible : 15 % pour les tués et 5 % pour les blessés.

Les accidents de jour impliquant plusieurs véhicules ou un véhicule et un piéton ont fait en 2003 en France 2 227 tués, 67 873 blessés soit environ 39 % des tués et 58,5 % des blessés. Le gain pour la France s’élèverait donc environ entre 5 à 8 % des tués et de 3 à 13 % des blessés.

 

4.2. L'expérience des Landes en France

En France, une expérience en vraie grandeur concernant l’allumage des feux de croisement de jour s’est déroulée dans le département des Landes, en campagne et en milieu urbain, de juin 1999 à juin 2000.

Une évaluation de cette opération « En plein jour, roulez éclairé » a été réalisée sous la responsabilité scientifique de S. Lassarre, directeur de recherche à l'INRETS.

Le rapport d’évaluation publié par l'INRETS en septembre 2001 apporte un grand nombre d’informations sur les conditions de l’opération dans les Landes, le taux de conformité à la recommandation et ses effets sur l’accidentalité du département. Les principales conclusions sont les suivantes :

- Seuls 12 % des répondants à la consultation générale des landais par questionnaires ont déclaré toujours allumer les feux le jour (46 % souvent et 31 % parfois).

- Plus de la moitié des répondants déclarent que l’allumage des feux rend les véhicules plus visibles.

- Si les répondants déclarent que la mesure est globalement favorable à la sécurité et aide le conducteur dans ses manœuvres (notamment les dépassements), certains y voient des effets négatifs non négligeables : risque pour les usagers non éclairés (30 %), risque pour les motards (~25 %), incitation à la vitesse (10 %). Peu de répondants se plaignent d’un effet sur la consommation.

- Si une très grande majorité des véhicules sont éclairés lors des périodes de crépuscule (88 % en campagne et 80 % en ville) et par temps de pluie (~70 % en campagne et 20 % en agglomération), par beau temps les fréquences d’allumage des feux dégringolent (~20 % en campagne et 5 % en ville).

- L’étude conclue à une relative efficacité de l’opération puisque, sur le réseau des routes à grande circulation,  la diminution du nombre des accidents pertinents (à deux véhicules ou plus de jour) serait de 13 % et qu’elle serait de 3 % sur l’ensemble du réseau de campagne + agglomérations de moins de 5 000 habitants. Les pourcentages de diminution sont encore plus forts pour les accidents mortels mais il faut rappeler que la taille de cette expérimentation fait que ces résultats sont statistiquement moins significatifs que les résultats des études internationales citées plus haut.

 

4.3. La dernière étude disponible (Daytime Running Lamps (DRLs) for Pedestrian Protection (SAE Paper 2003-01-2072) - Paul A. Thomson, General Motor Corporation, USA, 2003)

General Motors a commencé d'installer des feux de jour sur ses voitures en 1995 bien que ce ne soit pas une obligation imposée par les Federal Motor Vehicle Safety Standards. Depuis 1997, tous les nouveaux modèles GM en sont équipés. L'équipement est conforme aux dispositions techniques précisées dans le FMVSS 108.

L'objet de l'étude est d'estimer les gains de sécurité obtenus grâce à cette politique d'équipement des véhicules GM depuis 1995.

L'étude d'évaluation de l'efficacité des feux de jour (effectuée non pas par GM mais par l'Exponent Failure Analysis Associates) a consisté à comparer, sur une période de 5 ans (1996-2000) et dans 17 états des Etats-Unis d'Amérique, les taux d'accident du premier millésime des véhicules GM et SAAB équipés de feux de jour et les taux d'accidents de véhicules GM et SAAB, semblables aux premiers mais non équipés de feux de jour (dernier millésime non équipé). Les véhicules des deux groupes sont par conséquent appariés, ce qui signifie qu'ils sont a priori identiques en tout point, sauf en ce qui concerne les feux de jour.

Le taux d'accident est défini comme le rapport entre le nombre de collisions et le nombre de véhicules en circulation au cours de la période d'étude. De nombreux taux d'accidents ont été calculés, selon le type de collision, selon les conditions de luminosité (jour-crépuscule), selon le type de réseau routier, et selon l'intensité des feux de jour. Un modèle statistique de Poisson a été utilisé pour le calcul de l'efficacité des feux de jour, définie comme le rapport des taux d'accidents des véhicules avec feux de jour et des véhicules sans feux de jour.

Les estimations statistiques des efficacités sont évidemment très variables d'un type de feux de jour à un autre, d'un type de collision à un autre, selon les conditions de luminosité, etc. Elles sont toutes positives, comprises entre 2 % et 25 % (c'est à dire que les feux de jour diminuent le nombre de collisions, y compris les collisions véhicule-piétons (-10 %) et véhicule-motocyclettes), mais pas toutes statistiquement significatives. L'étude ne montre pas d'efficacité croissante avec l'intensité de la lumière des feux de jour.

Sur la base des études antérieures et de la présente étude, GM estime que, entre 1995 et 2001, 37 000 collisions entre véhicules et 772 collisions avec un piéton ont ainsi été évitées.

 

4.4. Les contestations

De nombreux chercheurs et décideurs en sécurité routière ont examiné attentivement les études et les méta-analyses publiées sur le sujet. Les critiques méthodologiques ont abouti à des débats scientifiques savoureux. De notre point de vue, même si certaines critiques sont recevables (complexité de la ré-analyse de Koornstra et al., quelques erreurs minimes dans les formules, non-significativité des résultats de certaines études), la littérature scientifique concorde toujours pour affirmer que cette mesure (les feux de jour) est une bonne mesure pour diminuer globalement le nombre des accidents de la route. Les discussions ne portent plus sur l'efficacité ou la non efficacité de la mesure mais sur l'opportunité politique de prendre la décision de l'introduire dans un pays, sur les modalités de son application, et sur les caractéristiques techniques des feux de jour.

 

5.     L’effet sur les usagers vulnérables

Effet particulier sur les motos - L’effet particulier sur les piétons et les cyclistes

En dehors des aspects techniques des évaluations, l’effet global des feux de jour sur la sécurité n’est pas contesté en général et les oppositions concernent l'efficacité des feux de jour sur les cyclistes, les piétons et les motocyclettes.

 

Effet particulier sur les motos

Dans leur ensemble, les conclusions des différentes études étrangères et notamment celles qui ont été rapportées par Koornstra et al. aboutissent à un effet non négatif et même souvent positif pour les motocyclettes.

Les conclusions de l’expérience des Landes ne contredisent pas ces résultats et permettent de montrer en particulier que les cas de confusion entre une moto et un véhicule léger sont extrêmement rares. De plus, il n’a pas été clairement montré en quoi cette absence supposée de reconnaissance pourrait avoir un effet aussi décisif pour la sécurité : si les feux de jour n’amélioreront pas la perception des motos par les automobilistes, ils amélioreront la perception des automobiles par les motocyclistes!

Par conséquent, sur le problème des motocyclistes, la conviction de la plupart des chercheurs est que les motocyclistes ne souffriront pas de l'éclairage des voitures et garderont leur conspicuity acquise par leur propre éclairage. Une seule étude montre qu'un très léger effet de masquage des motocyclettes par les voitures éclairées pourrait apparaître en intersection rurale. Une distinction dans leur feux de jour, par exemple avec l'ajout de deux feux pour constituer avec le feux de jour existant un triangle, permettrait de les distinguer et de les reconnaître.

 

L’effet particulier sur les piétons et les cyclistes

D'une manière générale, les conclusions des études recensées par Koornstra et al. ont montré l’effet positif de la mesure sur les piétons. Cet effet résulterait d’une meilleure perception par ces usagers des véhicules éclairés (ce qui leur permettrait de réagir plus tôt).

Cet effet supposé (et non démontré) est contredit par certains chercheurs qui mettent en avant ce que l'on appelle l'illusion de visibilité: si le piéton voit mieux le véhicule éclairé, il aura tendance à penser que le conducteur du véhicule le voit mieux, ce qui peut augmenter sa confiance dans la réaction de l'automobiliste, mais aussi son risque, puisque cette confiance n'a en fait aucun fondement. Cet effet d'illusion de visibilité n'est également qu'une hypothèse non démontrée.

De même, ce qui choque les défenseurs des usagers vulnérables est que cette mesure met à la charge de ces usagers l’amélioration de leur sécurité alors qu’ils sont victimes du comportement insécuritaire des autres. La crainte est que cette augmentation du sentiment d’insécurité rejaillisse sur la pratique de la marche elle-même, ce qui d’ailleurs en soi renforcerait le caractère dangereux de cette pratique en la rendant encore plus minoritaire.

Même si les études disponibles sur l'efficacité des feux de jour sur la sécurité des piétons jusqu'à 2003 ne sont pas de grande qualité ou statistiquement significative, la dernière étude américaine, en revanche, est catégorique sur le sujet : les piétons bénéficient également des effets des feux de jour et il n'y a pas lieu de supposer un effet néfaste d'une éventuelle illusion de visibilité.

Enfin, les associations de piétons mettent en avant l’adaptation comportementale des automobilistes face aux feux de jour : ils se sentiraient plus en sécurité et par conséquent augmenteraient leur vitesse selon le principe de l’homéostasie du risque, ce qui rendrait les piétons encore plus vulnérables. Cette hypothèse est catégoriquement rejetée par les études scientifiques.

 

6.     Comment pratiquement instaurer les feux de jour ?

L’instauration des feux de jour peut s’envisager de deux façons principales :

-          en imposant ou en conseillant à l’usager l’obligation d’allumer les feux de croisement le jour

-          en imposant aux constructeurs d’équiper les véhicules de feux dédiés

sachant que si la mesure est imposée ou conseillée à l’usager, les constructeurs auront tendance à proposer l’équipement de feux dédiés. 

Cette dernière solution présente un certain nombre d’avantages (moindre consommation et moindre éblouissement) mais l’inconvénient d’un très long délai pour sa mise en œuvre (dix ans environ). Dans l’immédiat, au sein de l’Union européenne, seule une mesure concernant l’usager peut être envisagée. 

On peut également concevoir différentes façons de limiter l’utilisation des feux de jour soit dans l’espace (en rase campagne car c’est là que se situent les accidents les plus graves et où il y a le moins d’usagers vulnérables) soit dans le temps (l’hiver lorsque les conditions de visibilité sont mauvaises) même si rien ne montre qu’ils sont moins efficaces en ville ou l’été.

Il est vrai que le problème principal que pose cette mesure est celui de son acceptabilité sociale : elle ne peut s’envisager qu’accompagnée par des actions de communication qui pourraient être complétées par un encouragement à la pratique Pour les motocyclistes, l’étude de dispositifs permettant d’améliorer leur visibilité[7] devrait être engagée.

La question des modalités d’application de la mesure est également importante : il semble préférable d’envisager un mode progressif d’instauration de la mesure par exemple en procédant dans un premier temps par des conseils aux usagers visant à rendre volontaire l’usage des feux de jour. On peut également pour en faciliter l’acceptation limiter dans un premier temps la promotion de l’allumage des feux à la seule rase campagne et/ou pendant l’hiver.

Leur utilisation sera d’autant plus positive qu’elle sera considérée comme participant à un effort en faveur de la sécurité routière de tous les usagers. De fait, la plupart des pays qui ont instauré une obligation, l’ont fait au moment où la pratique spontanée concernait déjà plus de la moitié des usagers : c’est ainsi que la pratique aux Pays Bas, pays qui a refusé de rendre obligatoire cette mesure, est actuellement de près de 60 % ce qui est presque trois fois plus important que dans l’expérience d’utilisation des feux de jour, lancée en 1997 dans le département des Landes.

Par ailleurs, cette mesure n’est pas sans conséquence sur l’industrie puisque les constructeurs seront incités à proposer des modèles avec feux dédiés spécifiques à cette fonction (être vu) alors que les feux de croisement sont conçus pour voir et alors que de nombreux véhicules disposent déjà de feux automatiques qui s’éclairent dès que la luminosité baisse. Il conviendra en conséquence d’engager une réflexion générale avec les constructeurs sur l’éclairage.

Si, pour diverses raisons, la mesure concernant les feux de jour n’était pas retenue, il conviendrait de ne pas abandonner pour autant toute volonté d’améliorer la visibilité des usagers de la route.

-          Il faut rappeler en effet que l’allumage des feux de croisement est exigé dans le Code de la route (art.R416-4) dés lors que la  « visibilité est insuffisante ». Ne faudrait-il pas mieux préciser cette  notion en spécifiant par exemple que par temps de pluie ou par temps couvert la visibilité est insuffisante[8] ?

-          l’allumage automatique des feux de croisement en fonction de la lumière est une solution technique que proposent un certain nombre de constructeur : elle devrait être encouragée et la question d’une meilleure spécification technique des conditions de ce déclenchement automatique devrait être posée.

 


[1] Accidents à deux véhicules ou plus et accidents véhicules et piétons.

[2] Auquel il faudrait ajouter les 3,5 % de tués et les 4 % de blessés à l’aube ou au crépuscule mais à ces moments là, les conducteurs sont nombreux à allumer leurs feux de croisement ou au moins leurs

veilleuses !

[3] par exemple : feux spécifiques formant un triangle avec le feu existant

[4] le problème est un peu similaire à celui de la distance de sécurité qui était mentionnée dans le code de la route depuis très longtemps sans autre précision et qui a été précisée récemment par un décret comme la distance parcourue en deux secondes

[5] Méta-analyse : analyse critique et comparaison d’un ensemble d’analyses

[6] Ce groupe était composé de huit membres du conseil (MM. F.Brodziak, C.Gérondeau, P.Jacquot, J.P.Moreau, J.Robin, G.Rosenwald et F.Thomas) de deux membres du Comité des experts (Yves PAGE et Jean CHAPELON) et par deux experts cooptés par la commission (Jean-Pierre JOUINEAU et Paul SERRE).

5 en effet les FJ impliquent non seulement l'allumage des feux de croisements blancs à l'avant mais aussi des feux rouge à l'arrière.

[7] par exemple : feux spécifiques formant un triangle avec le feu existant

[8] le problème est un peu similaire à celui de la distance de sécurité qui était mentionnée dans le code de la route depuis très longtemps sans autre précision et qui a été précisée récemment par un décret comme la distance parcourue en deux secondes.